Téléchirurgie, un levier d’équité dans l’accès aux soins à travers le monde

Edito

Avec la participation de plus de 2 500 chirurgiens venus de 70 pays et d’une centaine d’entreprises spécialisées en robotique chirurgicale, le Congrès 2025 de la Société Mondiale de Chirurgie Robotique (SRS) a dépassé toutes les attentes en termes de richesse des échanges et de qualité des démonstrations.

Cette édition 2025 s’est tenue en juillet au Palais des Congrès et à l’IRCAD à Strasbourg, ville choisie par les organisateurs en référence à la première intervention de chirurgie menée à distance, baptisée « Opération Lindbergh ». Avec l’équipe de l’IRCAD, nous avions réalisé cette première téléchirurgie depuis New York, sur une patiente hospitalisée à Strasbourg, en septembre 2001.

Cette dernière édition du Congrès SRS a marqué les esprits en montrant que les enjeux médicaux, technologiques et éthiques n’ont jamais été aussi étroitement liés.

La chirurgie robotique apparaît désormais incontournable dans les spécialités mises à l’honneur cette année par le Congrès – chirurgie digestive, gynécologique, urologique, thoracique, ou neurochirurgie. Elle ne cesse de repousser les limites du geste opératoire, avec l’exemple de la prise en charge du cancer du sein, jusque-là dévolue à la chirurgie conventionnelle et qui aborde à son tour la voie robotique.

Les avancées de la chirurgie robotique repoussent aussi les frontières géographiques en permettant d’intervenir « à distance » comme l’ont montré les sessions de téléchirurgie réalisées à partir de l’IRCAD France par des chirurgiens « téléopérant » à des milliers de kilomètres (Chine, Inde, Japon, Kazakhstan, etc.) dans diverses spécialités : chirurgie digestive, chirurgie de l’obésité ou chirurgie cardiaque (première intervention mondiale réalisée à distance). Ces interventions entre continents ont souligné la robustesse des infrastructures numériques (fibres optiques et réseau 5G notamment), la précision des gestes assistés à distance et l’intégration fluide de l’intelligence artificielle et de la visualisation avancée dans l’acte téléchirurgical.

Le congrès SRS 2025 s’inscrit comme un temps fort de l’histoire de la téléchirurgie en affirmant son statut de réalité clinique et en mettant en évidence son potentiel à donner accès, à travers le monde, à une prise en charge chirurgicale adaptée, enjeu essentiel auquel nous consacrons cette lettre d’information. Depuis l’Opération Lindbergh, l’IRCAD n’a cessé d’œuvrer au développement de la téléchirurgie, en l’enseignant et en la structurant de façon à la faire progresser du stade de l’expérimentation à celui de la maturité, la rendant aujourd’hui déployable à grande échelle.

 

Professeur Jacques Marescaux

 


L’interview du mois

Téléchirurgie, un levier d’équité dans l’accès aux soins à travers le monde

Professeur Jacques Marescaux
Président et fondateur de l’IRCAD

 

 

Professeur Marescaux, vous êtes le pionnier de la téléchirurgie, pouvez-vous nous parler de son évolution depuis la première intervention mondiale réalisée à distance (Opération Lindbergh), par vous-même et votre équipe de l’IRCAD, entre New York et Strasbourg en septembre 2001 ?

Pr. Jacques Marescaux : Cette première intervention à distance a fait l’objet d’un large écho médiatique mais n’a pas été immédiatement suivie d’un véritable développement, la téléchirurgie est restée limitée à des projets pilotes et à des expériences de formation à distance. Les robots n’étaient pas assez perfectionnés et, surtout, l’infrastructure de communication n’était pas suffisamment stable pour garantir une transmission sans latence et les coûts de communication étaient exorbitants. Il fallait par exemple dépenser un million de dollars pour louer pendant 6 mois un câble intercontinental de fibre optique haut débit.

A partir de 2010, grâce à l’essor de la chirurgie assistée par robot, le télémentorat et les interventions « double console » (deux chirurgiens distants opérant ensemble) ont commencé à monter en puissance mais la véritable accélération technologique n’est survenue qu’à partir de 2020, la pandémie de COVID-19 ayant déclenché une réflexion globale sur la télémédecine, incluant la téléchirurgie. Les investissements réalisés dans les infrastructures de télécommunication ont permis de développer des réseaux 5G et fibres optiques ultra-stables et des systèmes de cybersécurité renforcés.

Cette année 2025 marque un vrai tournant mondial dans l’histoire de la téléchirurgie, le congrès annuel de la Society of Robotic Surgery (SRS), que nous avons accueilli à l’IRCAD France à Strasbourg en juillet, ayant établi que la téléchirurgie est une technologie désormais mature, cliniquement prouvée et prête à transformer les systèmes de santé. En particulier, huit téléchirurgies ont pu être réalisées en direct en seulement quatre jours, connectant l’IRCAD France à des hôpitaux en Chine, en Inde, au Japon ou encore au Kazakhstan, et incluant une première mondiale d’intervention à distance en chirurgie cardiaque menée par l’équipe de l’IRCAD India.

Cette série d’interventions démontre la solidité des nouvelles infrastructures numériques (fibres optiques dédiées, 5G, lignes sécurisées américaines, japonaises, chinoises, indiennes) qui confèrent à l’acte chirurgical un niveau optimal de sécurité et de précision. Tous ces gestes ont été menés avec une fluidité technique inédite grâce à des robots chirurgicaux de dernière génération et à une compatibilité croissante entre les différents systèmes de robotique chirurgicale. En 2001, nous avions eu besoin de six ans de préparation pour assurer une seule téléchirurgie. En 2025, nous avons pu réaliser huit téléchirurgies en une semaine, les barrières géographiques ont disparu.

 

Vous évoquez le potentiel de la téléchirurgie à transformer les systèmes de santé, quelles sont vos perspectives sur ce sujet ?

Pr. J.M.: Aujourd’hui, à travers le monde, des millions de patients vivent à des centaines ou milliers de kilomètres du plateau technique qui leur permettrait de recevoir le traitement qui leur est nécessaire. En termes d’accès au soin, les inégalités sont criantes. La téléchirurgie peut offrir un véritable levier d’équité en santé en apportant à distance l’expertise chirurgicale requise pour opérer les patients dans les territoires où les ressources humaines et matérielles sont insuffisantes.

La prise en charge de l’accident vasculaire cérébral ischémique (AVC) est un exemple emblématique du rôle que la téléchirurgie peut jouer sur l’équité d’accès aux soins. Aujourd’hui, moins de 3% des patients dans le monde peuvent bénéficier dans les temps (2 heures) du traitement adapté, le retrait chirurgical du caillot (ou thrombectomie). L’enjeu est immense puisque chaque minute sans intervention détruit près de 2 millions de neurones, le délai de prise en charge conditionnant ainsi directement les chances de survie et de récupération sans handicap neurologique.

Dans les zones dépourvues de neurochirurgiens, l’extraction du caillot pourrait être réalisée en urgence grâce à un robot installé dans l’hôpital local, dont le pilotage serait assuré par un expert situé à distance du patient.

C’est dans cette perspective d’urgence vitale que j’ai engagé l’IRCAD dans un projet dédié à la prise en charge de l’AVC, en collaboration avec XCath, qui viendra prochainement s’installer à l’institut à Strasbourg. Cette jeune entreprise américaine développe des systèmes robotiques pour la réalisation à distance d’interventions de haute précision sur les vaisseaux cérébraux et cardiovasculaires. L’objectif est donc que le neurochirurgien situé à distance du patient assure le retrait du caillot en pilotant en temps réel la navigation des micro-instruments robotiques dans le cerveau, grâce à des interfaces de pilotage extrêmement précises et à une connexion haut débit reliant les deux plateaux techniques.

Ce modèle de prise en charge de l’urgence neurologique pourrait rapidement évoluer vers une structure de type “tour de contrôle” dans laquelle une équipe de neurochirurgiens experts assurerait une permanence pour superviser à distance des interventions réalisées dans différents hôpitaux répartis sur un territoire à faible densité de spécialistes (zones faiblement peuplées, pays émergents etc.).

Ce projet s’inscrit dans une vision plus large portée par l’IRCAD, qui est d’ouvrir et standardiser les conditions d’accès aux soins critiques à travers le monde, en intégrant dans des hôpitaux « satellites » locaux des équipements robotisés connectés à des centres d’excellence internationaux. Ce modèle pourrait constituer l’un des piliers d’une future plateforme mondiale de santé robotique.

 

Comment voyez-vous la mise en œuvre de la téléchirurgie à grande échelle ? Avez-vous identifié d’éventuels freins restant à lever et le cas échéant des solutions à proposer ?

Pr. J.M.: Sur le plan technologique, la téléchirurgie est effectivement prête à être largement déployée, avec des solutions robotiques et des systèmes de communication désormais bien adaptés, mais il reste tout à construire en termes d’encadrement et 3 principaux freins sont identifiés d’un point de vue réglementaire, juridique et financier.

  • Sur le plan de la réglementation, chaque pays dispose de ses propres règles d’autorisation d’exercice, d’agrément des dispositifs médicaux et de certification des établissements. Il n’existe à ce jour aucune réglementation internationale permettant à un chirurgien enregistré dans son pays d’exercice habituel d’intervenir à distance sur un patient situé dans un autre pays. Les solutions pourraient tourner autour de la création d’un “visa médical transfrontalier” pour les chirurgiens intervenant à distance. Pour les centres satellites implantés localement, une certification pourrait être mise en œuvre selon des standards qui seraient reconnus internationalement, élaborés sous l’égide de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) par exemple. On pourrait imaginer aussi que des accords puissent être conclus entre des pays ou groupes de pays (UE-Brésil par exemple) grâce à des conventions spécifiques.
  • Sur le plan juridique, la notion de responsabilité médicale reste à déterminer entre le chirurgien local, qui introduit les instruments dans le corps du patient, et le chirurgien qui pilote à distance ces instruments. La solution pourrait être la mise en place d’un protocole de responsabilité partagée, le chirurgien local étant responsable du placement des instruments et de l’environnement opératoire et le chirurgien à distance étant responsable des gestes qu’il commande. Ce protocole pourrait être associé au recueil du consentement éclairé du patient, qui détaillerait les rôles des deux équipes.
  • Enfin, le modèle financier reste à bâtir entièrement. Aujourd’hui, les démonstrations de téléchirurgie sont offertes par les chirurgiens et les sociétés de robotique et cela n’est pas soutenable. Il faut pouvoir rémunérer le chirurgien à distance et l’équipe locale, financer l’équipement robotique local et sa maintenance ainsi que les coûts de télécommunication. Un modèle « Chirurgien expert » pourrait considérer le chirurgien à distance comme un prestataire externe, qui facturerait des honoraires à l’hôpital local ou à l’assureur en santé (public ou privé), ces payeurs prenant également en charge les coûts des systèmes robotiques et de télécommunication. Dans un autre modèle, du type « Plateforme clé en main », l’établissement d’origine du chirurgien expert pourrait être considéré comme le prestataire externe et facturer à l’hôpital local ou à l’assureur en santé une prestation technique et chirurgicale pouvant inclure divers services (l’intervention à distance, la fourniture de l’équipement robotique, la télécommunication etc.).

La levée de ces freins réglementaires, juridiques et financiers va évidemment prendre du temps. Or, le temps manque cruellement dans certains endroits du globe où la téléchirurgie apparaît comme la seule chance d’introduire un peu d’équité en santé. Il faut donc agir dès maintenant et, dans cette optique, la Directrice du Département Innovation de l’OMS a annoncé lors du Congrès SRS 2025 le lancement d’une initiative d’envergure mondiale, menée conjointement par l’OMS, l’IRCAD, et la SRS.

Ce partenariat à vocation humanitaire et sans but lucratif porte sur le déploiement de la téléchirurgie dans les pays en développement où les chirurgiens sont rares et les distances immenses.

L’objectif est de créer des réseaux de chirurgie à distance dans les hôpitaux locaux sélectionnés, en formant leurs équipes, en facilitant l’installation de robots chirurgicaux et en coordonnant des missions chirurgicales régulières à distance (2 à 3 jours/an par chirurgien expert).

L’IRCAD assurera notamment la formation initiale et continue des équipes locales dans le réseau des 9 IRCAD implantés à travers le monde.

Cette alliance inédite OMS/SRS/IRCAD illustre pleinement la mission de l’IRCAD de rendre accessibles les technologies de pointe dans les régions sous-dotées afin de favoriser l’émergence d’une médecine plus équitable, connectée et universelle.

 

 

 

A propos de l’IRCAD :

Créé en 1994 par le Professeur Jacques Marescaux, l’IRCAD est un institut dédié à la formation et à la recherche sur la chirurgie mini-invasive.  L’Institut strasbourgeois est un centre de renommée internationale, réputé pour l’excellence de ses formations qu’elles soient présentielles – près de 8 800 chirurgiens du monde entier sont formés, chaque année à Strasbourg – ou virtuelles, avec l’université en ligne Websurg, entièrement gratuite, qui compte plus de 470 000 membres connectés dans le monde entier.

 

Pour plus d’informations, rendez-vous sur https://www.ircad.fr/fr/

 

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